LES SIMULACRES ÉMOTIONNELS AU JAPON
Les Amours artificielles au Japon
Au Japon, le nombre de mariages n’a jamais été aussi bas depuis la Seconde Guerre mondiale. Par contraste, un nombre croissant d'hommes et, surtout, de femmes se mettent en couple avec des partenaires fictifs dans le cadre de mises en scène visant à brouiller les frontières qui séparent le jeu du réel.
Comment comprendre ce phénomène ? Depuis l’explosion de la bulle économique dans les années 1990, il est devenu difficile de fonder un foyer. Acculées au célibat ou forcées de souscrire à un modèle matrimonial périmé, des millions de personnes tentent de trouver le bonheur dans les bras d’êtres venus de la « Deuxième Dimension » (ni-jigen), c’est-à-dire de la fiction. Le mouvement rassemble une frange croissante de la population qui, pour faire face au stigmate, détourne les rituels et le vocabulaire du sacré afin de rendre un culte aux personnages. Pèlerinages, cérémonies d’invocation, autels portatifs, collecte d’icônes, offrandes, funérailles : l’ouvrage se penche sur toutes les formes de religiosité développées au sein de cette contre-culture, afin de révéler l’ampleur d’un phénomène aux allures d’holocauste symbolique.
Les nouvelles générations brûlent leur navire. Elles se vouent à l’amour pour les personnages, dans l'espoir non seulement d'atteindre le bonheur (même le plus illusoire en apparence) mais de changer le système en proposant, depuis les marges, des systèmes de valeur plus « désirables » et d'autres manières d'être au monde.

En format Beau Livre, l'ouvrage est richement illustré d'oeuvres inédites recueillies auprès de 11 artistes japonais qui ont accepté participer à l'ouvrage :
- Le pionnier du genre “Underwater Girls”, KOGA Manabu (古賀学) qui signe la couverture
- La célèbre mangaka NAGANO Noriko (永野のりこ)
- La muse des lolitas désaxées, MIYAMOTO Kana (宮本香那)
- L’égérie du mouvement “selfie“ macabre, HALCA (悠歌)
- L’inventeur du label “Uncool Japan” NAKAO Hen (中尾変)
- L’artiste numérique WATABOKU, créateur de l’iconique lycéenne SAI.
- L’archéologue du computer graphism, HARADA Chiaki (原田ちあき)
- La photographe-performeuse Manimanium (まにまにうむ)
- L’artiste-medium Automoai (オートモアイ), peintre des introspections
- MAKI Tamaki (真木環), la dramaturge des conflits intériorisés
- La collectionneuse de songes, YAMADA Chika (ヤマダチカ)
Les Amours artificielles au Japon. Flirts virtuels et fiancées imaginaires
Editions Albin Michel
272 pages
Format : 19,6 x 25,6 cm
Prix: 39 €
Parution : 2 octobre 2025

Anthropologie du jeu
Les partenaires artificiels sont-ils des «solutions innovantes» au «problème de la solitude» ? Alors que les technologies de l'empathie se développent (servies par un discours marketing fallacieux), le Japon se peuple de présences aimantes qui fournissent la matière d’un jeu à grande échelle. Ce jeu consiste à faire comme si les créatures imaginaires étaient non pas des instruments au service de l’humain mais des êtres surnaturels à chérir, voire à vénérer, afin que se manifeste leur puissance opérative. Comme le montre Agnès Giard, il s'agit de prendre au sérieux ce jeu qui, renversant le paradigme utilitariste, procède d'une volonté de «croire» en l'existence d'une dimension parallèle.
Qu'est-ce qu'une « identité désirée » ?
Can’t Stop “Me” Anymore - clip co-réalisé avec Liudmila Bredkhina, 10', 2020.
Le concept d'« identités désirées », lancé en 2020 par Agnès Giard, trouve ici une illustration : ce clip présente un défilé de personnes transformées en personnages fictifs. Ce clip a été créé à partir de vidéos sur YouTube et Twitter reflétant les aspirations des créateurs – VTubers, roboticiens, fans de vocaloid ou adeptes de kigurumi – impliqués dans les univers dits « simulés ». L'occasion de se demander si la fiction n'est pas l'espace où projeter les parts de soi les plus « vraies ».
Créez votre propre site internet avec Webador