POUPÉES, ROBOTS :  LES "FORMES HUMAINES" AU JAPON

Un désir d'humain

Il existe au Japon une industrie de rabu dōru, des poupées grandeur nature a priori conçues pour servir de «compagnes de substitution».

Curieusement, ces produits d'artisanat haut de gamme se présentent sous la forme fantomatique de jeunes filles aux regards absents et aux corps incomplets… Est-il seulement possible de les utiliser ?
Confrontant les humains à leur impuissance, ces ersatz moulés dans les postures du songe (sur le modèle des sculptures de bouddhas) se dérobent aux échanges, induisant les usagers à faire surgir «la personne» hors de ce qui n'est, d'abord, personne. 

Les firmes qui s'en disputent le marché les présentent non pas comme des produits à vendre mais comme des «filles à marier», ce qui peut paraître contradictoire car ces objets ne font pas illusion, au contraire : creuses, vacantes, les love dolls évoquent l'idée de la perte. Elles ne semblent pas destinées à combler leurs usagers mais à leur échapper. C'est en cela, d'ailleurs, qu'elles se révèlent si efficaces à simuler l'humain. Certainement, ces poupées constituent un véritable laboratoire pour la recherche en conscience artificielle. 

L'ouvrage synthétise une enquête doctorale menée, entre 2011 et 2015, dans les principales fabriques au Japon. Il retrace l'histoire des poupées, dont l'origine remonte (sur le plan conceptuel) aux histoires à faire peur de l'époque Edo. Et pour cause : ces simulacres proposent quelque chose de plus subtil qu’un aspect réaliste, mais quoi ?

- La thèse dont est tirée cet ouvrage a reçu le Prix spécial du jury de la MAE (Université de Paris Nanterre) en 2016.

- Un Désir d'humain a été couronné du Prix Sade 2016.

- En 2017, il a ensuite été distingué par le jury du Prix ICAS-Gis Asie comme un des cinq meilleurs ouvrages publiés en français dans le domaine des études asiatiques.

 

Un Désir d'humain. Les “love doll” au Japon
Editeur Les Belles Lettres. Collection Japon
376 pages
Prix : 25.90 €
Parution : 22 août 2016

Des vies psychiques

Avec l’essor des IA, les partenaires artificiels se déclinent sous des formes toujours plus ambiguës qui ne sont pas sans susciter l’inquiétude. Leur pouvoir de séduction menacerait-il les sociétés humaines ? Constatant qu’au Japon les poupées ou les robots ne sont pas forcément conçus pour «remplacer» l’humain et, ce faisant, l’isoler, Agnès Giard explore une hypothèse : le développement de partenaires artificiels encourage peut-être, non pas le délitement des liens sociaux mais, au contraire, l’élaboration collective d’un imaginaire «symbiotique» (pour citer le roboticien Okada Michio) : celui d’une «co-existence» avec les autres formes de vie, y compris les vies psychiques ou spirituelles qui hantent, traversent et prolongent la nôtre.

Quel lien unit les poupées japonaises à leurs ancêtres, les boucs émissaires, hitogata (littéralement « forme de personne ») ?

Au Japon, les robots à semblance humaine ont moins valeur de suppléants que d’amusements : destinés à charmer un public, dans tous les sens du terme, ces objets de monstration se voient attribuer les mêmes fonctions que les automates, c’est-à-dire qu’ils doivent distraire. Par opposition aux robots-esclaves censés servir de main d’œuvre et à qui nous sommes tentés de déléguer toujours plus de tâches (au risque d’y perdre jusqu’à notre «raison d’être»), de nombreux artefacts anthropomorphiques sont conçus pour provoquer, par effet de disruption, des réactions émotionnelles : émerveillement, surprise, peur, attirance…  Prenant appui sur le cas des processions destinées à apaiser les mauvais esprits – processions qui reposent sur l’exhibition d’enfants maquillés, de poupées et d’automates fascinants –, Agnès Giard  travaille actuellement sur l’idée selon laquelle beaucoup de robots-compagnons produits au Japon seraient les versions high-tech de ces ersatz ludico-magiques.

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